En 2001, Serre l’Écoute avait commencé sa carrière autour des chants de mer. Les hasards de la tradition – mais est-ce vraiment le fait du hasard ? – nous ont fait dériver vers un univers liquide d’une autre nature : au lieu de voyager sur les sept mers et risquer de disparaître corps et biens dans les abysses océanes, nous avons choisi de nous arrimer au tonneau, et de naviguer sur des eaux – des eaux ? – moins salées mais tellement plus conviviales. Voyage tout aussi périlleux s’il en est puisque les risques de sombrer ne sont pas moins élevés. Mais les chemins de la noyade sont ô combien plus agréables en bonne compagnie autour d’un verre et d’une bouteille, plutôt que sur le pont d’un trois-mâts en perdition !
Nous voici donc partis su’n balloune. Mais pas n’importe laquelle ! Ici, point de refrains braillés en sautant sur les comptoirs ou en roulant sous les tables. Pas que ces chansons à boire-là soient illégitimes, mais aux Chevaliers de la table ronde et autres Ami, ami, lève ton verre (et sans le renverser, s’il te plaît !), nous avons préféré explorer un répertoire plus subtil et beaucoup moins connu, où le buveur encore lucide témoigne d’une élévation de pensée peu commune face à la vie, à l’amour et à la mort.
Évidemment, un seul album n’est pas suffisant pour rendre compte de la diversité du sujet. Nous avions rêvé d’un double-album… À ceux et celles qui voudront quand même creuser davantage la question, rappelons que nous ne sommes pas les premiers à nous attaquer à ce répertoire savoureux – on pense par exemple au récent album Gorgée ! d’Hommage aux Aînés, lui aussi consacré pour l’essentiel à la chanson à boire. En outre, plusieurs chansons correspondant parfaitement à notre approche philosophique de la dive bouteille ont déjà été enregistrées par d’autres camarades. Les ressources dans le domaine, sans être totalement inépuisables, sont suffisamment nombreuses et notre contribution, sans vider la question (ni le tonneau), ajoute certainement une pierre de qualité à l’édifice des chansons consacrées au savoir-boire.
Toutes les chansons de cet album sont issues de la tradition orale, à deux exceptions près (plages 6 et 19), dont nous reparlerons dans leur commentaire respectif. Les autres chansons, à défaut d’être totalement inédites, sont des versions rares ou peu connues de chansons principalement issues de nos collectes personnelles ou de celles de différents camarades. Les collecteurs sont toujours mentionnés quand il ne s’agit pas de Robert Bouthillier et Vivian Labrie [ci-après RBVL], dont la collection est déposée et consultable aux Archives de folklore et d’ethnologie de l’université Laval [ci-après AFEUL]. Quelques-unes ont été retrouvées dans des recueils de chansons traditionnelles dont les références sont indiquées dans les commentaires des chansons.
Même si nous travaillons principalement à partir des sources ethnographiques, nous n’avons pas systématiquement reproduit les documents de collecte utilisés. Nous nous sommes parfois permis de construire une version de synthèse à partir de diverses sources incomplètes qui nous plaisaient. Les sources sont évidemment toujours citées au meilleur de notre connaissance. Le cas échéant, nous avons indiqué les correspondances, titres et cotes, aux catalogues de Conrad Laforte (Le Catalogue de la chanson folklorique française, Québec, P.U.L., 1977-1987, 6 vol. [ci-après CL]) et de Patrice Coirault (Répertoire des chansons françaises de tradition orale, Paris, BnF, 1996-2006, 3 vol., édité sous la direction de Georges Delarue [ci-après PC]).
LIETTE REMON, originaire de Petit-Pabos sur le côté sud de la péninsule gaspésienne et fille de violoneux, oscille avec bonheur entre tradition, renaissance, moyen-âge et musique expérimentale. Elle est récipiendaire en 2010 du prix Innovation/Tradition qui vise particulièrement à souligner l’innovation et l’originalité dans la présentation publique d’une pratique culturelle.